Mécanismes de survie en milieu hostile

Par défaut

366 Olivia Rosenthal signe son dernier livre avec un titre énigmatique mais le contenu l’est tout autant. Pourtant, j’ai envie d’en parler car même si je n’ai pas accroché, il y a un travail littéraire qui interpelle. Livre déroutant car sa complexité peut-être trop affichée m’a empêché d’entrevoir clairement ce dont il parlait.
Cinq parties, cinq chapitres. Le premier La Fuite évoque un paysage apocalyptique d’après-guerre où tout est dévasté et dans lequel une jeune femme fuit à pied et se cache dans des maisons abandonnées, elle laisse une femme sur le bord de la route et s’en veut… Quarante jours de cavale pour fuir dans un autre pays. Lequel ?
Chacune des parties est émaillée de passages en italique évoquant les pensées intérieures d’une personne privée de conscience, dans le coma ou victime d’AVC ou de passages descriptifs sur des gisants, des passages explicatifs comme des rapports d’autopsie, des procès-verbaux de scènes de crimes, des articles scientifiques de police comme la détection ou l’analyse des traces de sang… Comme autant de tentatives de dire la mort, la perte, le manque. Et chaque partie se conclut par les paroles de l’écrivain qui commente ses choix narratifs, justifie les paragraphes qui précèdent.
La deuxième partie, Dans la maison, raconte comment une jeune fille attend dans une maison, l’annonce d’un drame que ses parents ont du mal à avouer. On suppose que c’est la mort de la soeur. Elle erre dans cette maison pleine de celle qui a disparu ( p 66) et finit par se réfugier dans un cagibi obscur dont elle ne veut plus sortir.
La troisième partie, la Traque, raconte une partie de cache-cache interminable où le décompte du chasseur laisse le temps au chassé de se cacher…très loin, si loin que le chasseur ne le trouve jamais. Cette course, cette traque est évoquée à travers un long passage sans ponctuation, haletant (p 102-104). On peut reconstruire la signification de cette partie en voyant dans ce jeu d’enfance cruel, une tentative d’échapper au chasseur/soeur qui poursuit inlassablement celle qui reste, comme si sous l’emprise de la mort de sa soeur, elle essayait de s’en échapper à jamais. Tentative vaine, il faut accepter la mort de l’autre.
Même les Amis évoqués dans la quatrième partie ne parviennent pas à faire oublier la douleur de la mort pour la soeur qui reste. Enfin, la cinquième partie explicite le retour à la maison, c’est à nouveau la confrontation brutale avec les souvenirs douloureux. Mais tout s’est un peu éclairci avec le temps: elle arrive à dire que sa soeur est morte, dépressive, peut-être s’est-elle suicidée, un soir, une nuit et cet épisode a marqué à jamais l’autre soeur qui transporte avec elle culpabilité et douleur. La soeur, c’est un peu comme son double.
Cette structure éclatée renvoie à l’idée que la vie n’est qu’un puzzle dont on a du mal à emboîter les pièces. L’on n’ose pas mettre des mots définitifs sur la mort, le manque, alors on l’approche par métaphores (l’errance dans un pays dévasté, la maison-refuge, la maison-prison, le jeu du chasseur et du lapin…), on l’évoque par juxtaposition de souvenirs obsédants; les souvenirs qui se succèdent décomptent le temps qui la sépare de la délivrance. Ce livre est comme un compte-a-rebours qui jour après jour apaise la soeur rescapée, comme pour atteindre une certaine renaissance. On essaie d’apprivoiser la mort pour continuer à vivre avec, on ne s’en débarrasse jamais.
Ces différentes voix (celle du personnage de la soeur vivante, celle de l’écrivain, celle de l’administration) tissent comme un écho et tentent d’approcher les pensées intérieures de l’absente, de celle qui cotoîe la mort et qui ne peut pas parler. L’écrivain, la soeur vivante, rend la voix à celle qu’elle n’a pas su écouter et qui est partie, elle écrit ce qu’elle aurait pu dire, elle dit à sa place ou invente… Ecrire , c’est une manière de laisser une trace, une petite trace personnelle…

Laisser un commentaire